L’adoption récente du décret d’application de la loi portant statut de l’opposition, a fait couler beaucoup d’encres et de salives. Fidèle à notre leitmotiv qui est de donner la parole à tous les acteurs, Elite d’Afrique a tendu le micro à Gérard ADJA, premier vice-président du parti Organisation pour Bâtir dans l’Union un Togo Solidaire (OBUTS). « Cette loi en l’état, est à saluer, mais comporte des injustices », rappelle le bras droit d’Agbeyomé Kodjo dans cet entretien. Pour M. Adja, il est indispensable de réorganiser l’opposition, pour éviter d’abandonner le peuple et ouvrir ainsi un boulevard aux abus. Le parti de l’ancien premier ministre Kodjo, n’exclut pas une participation au prochain gouvernement, et assure que ses membres sont disposés à apporter leurs compétences s’ils sont sollicités. Lecture.
Elite d’Afrique : Un débat a lieu actuellement autour de la personne qui devrait incarner le chef de file de l’opposition, quelle est votre position à l’OBUTS par rapport à ce débat ?
Gérard Adja : D’abord je voudrais vous remercier pour l’opportunité que vous me donnez pour exprimer mon point de vue sur cette situation qui fait la une ces temps-ci. Je dirai que c’est une bonne chose d’avoir un statut de l’opposition ; et je crois que le gouvernement est à saluer et à féliciter d’avoir pensé à réglementer la vie politique dans notre pays en faisant voter cette loi. Pourtant, dans le vote de la loi, il y a eu des injustices comme le cas de l’article 2, qui dit que sont de l’opposition, les partis politiques qui se déclarent comme tel à l’assemblée nationale. Et les partis qui ne sont pas à l’assemblée nationale et qui n’ont pas l’opportunité de se déclarer à l’opposition en ce moment là ils sont de quel côte ? De l’opposition ou du parti au pouvoir ?
Donc il y a cette incongruité au niveau de la loi. Je pense que le parti majoritaire et les partis de l’opposition à l’assemblée nationale qui ont accepté cette loi dans cette configuration ont commis une faute contre l’ensemble des partis politiques de l’opposition parce que ce n’est pas normal que les choses soient ainsi. Cette loi adoptée comme tel, pose un autre problème, parce que si on dit qu’il faut juste aller se faire enregistrer comme étant de l’opposition et puis on l’est ou bien on le devient, je pense qu’il y a un problème, parce que toutes les manœuvres sont possibles lorsqu’il s’agira à certain niveau de faire les choses de manière équitable; et on demandera qui est de l’opposition, qui n’est pas de l’opposition.
Cette loi donnera l’occasion de faire des manœuvres
Donc les partis de l’opposition à l’assemblée nationale auraient pu voir cette subtilité et éviter que cette loi soit votée comme tel ou proposer des amendements pour que la loi soit un peu plus juste. Donc a mon avis, à ce jour, cette loi est bienvenue mais elle reste à améliorer. Maintenant pour aller plus directement sur l’intention de votre question, je crois que c’est bien que le statut soit fixe, c’est bien qu’on définisse des conditions pour que le chef de fil de l’opposition puisse aussi faire un travail digne de l’opposition. C’est une bonne chose mais, l’interprétation que les uns et les autres font de cette nouvelle et puis la manière dont on prend les choses me paraît moi un peu chaotique, parce que j’ai comme l’impression qu’on ne voit pas l’essentiel qu’il faut faire en ce moment.
EA : Et quel est l’essentiel selon vous ?
Gérard Adja : une réorganisation de la vie politique dans notre pays, c’est ça pour moi l’essentiel ; une réorganisation de la vie politique autant au niveau du pouvoir qu’autant au niveau de l’opposition, parce que vous savez le pouvoir n’est crédible que lorsqu’il y a une opposition crédible. Alors si le pouvoir tout le temps cherche à affaiblir l’opposition je crois que c’est lui-même qui s’affaibli, parce que d’un moment à un autre quand l’opposition n’aura plus de mots à dire et que le pouvoir semblera être sur un boulevard, tous les abus seront permis et le peuple en ce moment serait abandonné à lui-même. Un peuple abandonné à lui-même pourra à tout moment faire des choses qui ne sont pas tolérables et c’est ce que nous avons constaté un tout petit peu avant les fêtes de fin d’année, quand l’insécurité grandissait à Lomé un peu partout. Tout le monde criait mais, on avait l’impression qu’il a démission du pouvoir, l’opposition n’avait pas son mot à dire, parce que qui va dire quoi, contre qui ?
Le peuple semblait être voué à la merci de tous ces gangs là qui opéraient au vu et au su de tous. Personne n’a pu rien dire et le peuple se défendait tel qu’il pouvait. Et donc je crois que c’est des choses comme ça qu’il faut éviter en faisant en sorte que le parti au pouvoir soit bien organisé, travaille dans l’intérêt général et que l’opposition soit aussi bien organisée et travaille pour que le pouvoir en place puisse recadrer ou recadre les mauvais comportements pour que le peuple en bénéficie dans tous les cas. C’est l’essentiel à mon avis.
EA : est-ce que le débat aujourd’hui au tour de la question du statut de l’opposition du chef de file de l’opposition n’éloigne pas des questions prioritaires aujourd’hui notamment des réformes constitutionnelles et les élections locales ?
Gérard Adja : Cela ne devrait pas en principe, parce que c’est aussi une nécessité qu’on essaie de réorganiser un peu dans la vie politique dans notre pays. C’est une bonne chose, mais le débat concernant les reformes et les élections locales est permanent et on doit arriver à bout de ces reformes là. Je crois aussi qu’il est vrai que le pouvoir peut, à bon droit, essayer de manœuvrer pour retarder le plus possible ces reformes là, parce qu’il faut noter que si le pouvoir a l’opportunité de faire trainer les choses c’est parce que nous-mêmes qui sommes de l’opposition leur donnons cette opportunité.
Si on usait d’un peu plus d’intelligence et de savoir faire, on aurait plus contraindre le pouvoir à faire ces reformes à un moment donné.
Nous avons commis des erreurs du côté de l’opposition et jusqu’à présent ceux qui sont au devant de cette opposition et qui devraient normalement permettre que ces reformes soient faites n’ont pas joué un bon rôle; il faut qu’ils le sachent et le reconnaissent pour qu’ils cherchent surtout à recoller les morceaux et puis à se remettre en cause pour définir une nouvelle et bonne stratégie parce que si nous voulons continuer avec les mêmes pratiques, les mêmes méthodes sachant que les résultats seront les mêmes, nous ferons du surplace.
Les reformes sont toujours d’actualité même si on en parle pas. Il y a des contacts, des discussions en coulisses pour que les reformes aient lieu ; c’est la pression qu’il faut mettre qui manque aujourd’hui. Quel moyen a t- on pour la pression ? Si ce n’est pas la mobilisation populaire, or la mobilisation populaire nous l’avons tué nous-mêmes en la banalisant, en lui enlevant la quintessence. Aujourd’hui, le peuple se sent désabusé parce qu’on l’a utilisé pendant longtemps dans la rue tous les samedis et puis à un moment donné ce qu’on cherche on ne l’a pas trouvé. Le peuple s’est senti floué parce qu’à chaque samedi on promet qu’on y arrivera, finalement on n’y est pas arrivé.
EA : A suivre votre discours, on sent que le lien entre vos anciens partenaires de l’opposition est définitivement rompu. Est-ce que l’OBUTS est en train de s’éloigner de l’opposition traditionnelle pour rejoindre le camp du pouvoir ?
Gérard Adja : Il ne faut pas prendre les choses de cette manière. Nous avons travaillé à la création du CST (Collectif Sauvons le Togo) dont nous sommes membre fondateur. Malheureusement, par nos méthodes de gloutonnerie et de manque de volonté pour faire aboutir correctement les choses, ce regroupement qui à mon avis était un bon instrument pour amener à l’alternance est parti en lambeau. C’est vraiment dommage ! C’est regrettable ! CAP 2015 est allé à l’élection présidentielle, nous avons vu les résultats. Nous n’y étions pas associés, depuis lors nous avons fait entre temps une sortie pour faire comprendre à l’opinion nationale et internationale que nous changeons de stratégie. La stratégie pour nous aujourd’hui, c’est de travailler de tous les côtés pour que les uns et les autres comprennent que le Togo c’est pour nous tous et le Togo c’est nous tous qui devrons le construire. Alors si c’est pour nous tous et c’est nous tous qui allons le construire, il faut travailler de tous les côtés. Donc travailler aussi du côté du pouvoir pour essayer de leur faire comprendre qu’il y a nécessité de mettre de l’eau dans le vin et de changer de méthodes.
Ce n’est pas en étant vindicatif ou en étant opposé de façon violente avec des mots et des méthodes qu’on arrive toujours à faire comprendre à l’autre que nous avons besoin de changement. C’est avec la méthode douce, avec le dialogue et la concertation, avec surtout la volonté de convaincre de mieux faire, qu’on peut changer les choses dans la douceur. Le plus souvent, c’est cette méthode qui réussi. Il est vrai que vous voyez notre Président à côté du Chef de l’Etat depuis quelques temps dans certaines manifestations, il est vrai aussi que nous avons changé de stratégie entre temps, en se disant que le travail c’est des deux côtés qu’il faut le faire, donc ce n’est pas parce que notre Président s’approche du Chef de l’Etat pour discuter avec lui et apporter son expérience et l’aider à comprendre que le changement c’est pour nous tous, ce n’est contre personne, qu’il faut considérer qu’OBUTS n’est plus de l’opposition . Si on est plus de l’opposition est-ce qu’on a eu une responsabilité au niveau du pouvoir aujourd’hui ? Nous n’avons aucune responsabilité ! C’est lorsque nous aurons une responsabilité en nous associant au pouvoir que nous pouvons être considérés comme étant du pouvoir.
Notre Président s’approche du Chef de l’Etat pour discuter avec lui et apporter son expérience et l’aider à comprendre que le changement, c’est pour nous tous.
EA : C’est une éventualité ?
Oui cela peut arriver à tout moment parce que nous sommes des citoyens togolais et nous avons des expériences et des compétences à mettre à la disposition de notre pays. Et si on fait appel à nos expériences, nous ne pouvons pas refuser de ne pas mettre nos expériences à la disposition de notre pays. Nous le ferons volontiers. Donc ce n’est pas parce que notre président peut se retrouver dans telle ou telle instance, autant il va du côté du pouvoir, il est également du côté de l’opposition, s’il y a des manifestations. Malheureusement l’opposition ne peut organiser des manifestations officielles si non vous le trouverais bien là-bas; mais à des manifestations privées où on peut retrouver le chef de file de l’opposition d’aujourd’hui et que bien d’autres présidents de partis vous trouverez notre président, moi-même.
EA : Actualité politique oblige, la libération récente Pascal Bodjona fait la Une actuellement, vous-mêmes êtes inculpé dans l’affaire des incendies. Quelle est votre réaction ? Cette libération vous fait- elle espérer que vous sortirez blanc de cette affaire un jour ?
Tout d’abord, je rends grâce à Dieu pour Pascal Bodjona, je rends grâce à Dieu et je dis merci également aux autorités judiciaires qui ont compris qu’il faut élargir M. Pascal Bodjona à qui je voudrai dire toute mes félicitations et les encouragements afin d’essayer d’oublier ses moment pénibles qu’il à dû passer lors de sa détention.
Aucune démocratie ne peut se construire sans une justice équitable, et pour une justice équitable, il faut que les juges prennent leurs responsabilités par rapport au pouvoir politique, même s’il faut reconnaître que dans tout le pays il y a toujours des incursions de la politique au niveau de la justice, il faut autant que faire se peut, que les juges essayent de s’affranchir de l’influence politique pour comprendre que les citoyens doivent se traiter de la même manière et que le droit soit dit.
j’espère que c’est un début de décrispation de la vie politique et judiciaire dans notre pays mais c’est les juges qui doivent prendre leurs responsabilités parce que demain les politiques y passeront un jour ou l’autre mais les décisions de justice que vous prenez aujourd’hui peuvent avoir des conséquences très tardives et donc celui que vous condamnez aujourd’hui innocemment ou injustement qui sait si demain il aura le pouvoir politique et donc il faut essayer au tant que faire se peut d’être juste lorsqu’on est juge et on est appelé pour ça, j’espère que les juges comprendront.
Dans le cas des incendies que vous évoquez, vous savez je connais le Togo, ce n’est pas la première fois que j’ai été inculpé et puis je sais comment ça se passe quand il s’agit d’une inculpation, non pas judiciaire, mais politique, je me sens vraiment à l’aise et donc inculpé oui mais je me sens libre, n’ayant rien à me reprocher. Je me tiens à la disposition de la justice à tout moment lorsqu’ils voudront juger.
Mais ne faisons pas des choses pour avoir honte parce que cette nature est une nature juste. Je considère cette affaire comme une erreur, il ne faut pas continuer à rester dedans donc je suis libre dans ma conscience, je suis serein, je n’éprouve aucune difficulté quant à ma conscience donc je continue mes mouvements très tranquillement.
EA : Merci beaucoup et peut-être un mot de la fin
Je dirai tout simplement qu’il faut que notre pays avance, c’est tout mon souhait. Notre pays doit avancer, notre pays doit vraiment avancer et je pense que le Chef de l’Etat fait des efforts mais il doit en faire davantage et regarder autour de lui pour essayer de faire évoluer les choses, parce que le plus souvent on a de la bonne volonté mais la pesanteur c’est souvent ceux qui donnent des conseils autour. Il faut que ça aille parce que chacun cherche son petit intérêt donc en bon leader et un bon manager il écoute beaucoup des conseils mais c’est plutôt sa conscience qui doit le guider le plus parce que c’est au niveau de la conscience que Dieu parle à chacun.
Propos recueillis par Marc A.