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Louis Michel: « Des manifestations nombreuses qui aboutissent parfois à des violences rendent plus difficiles le développement et la gestion d’un pays »

La facilitation de la crise togolaise conduite par la CEDEAO, les dernières législatives, le nouveau parlement togolais, le programme national de développement, l’aide européenne en direction de l’Afrique, les dernières élections en République démocratique du Congo, etc. Les points de vue de l’ancien Commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, Louis Michel tranchent avec des réactions souvent entendues.

À l’occasion de leur présence à Bruxelles, dans le cadre de la session ministérielle U.E. – U.A., le quotidien Togo Matin et la chaine de Télévision nationale du Togo ont interviewé, le Député européen, ex Vice-Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et ministre des Réformes institutionnelles, membre du parlement belge depuis 1978, dans ses bureaux, sis au Parlement européen, rue Wiertz, 60 à 1047 Bruxelles.

Dans cet entretien exclusif, il embrasse tour à tour, les questions togolaises, africaines liées à la politique, à l’économie, à la migration…avec un regard parfois original. Entretien !

Bonjour M. le Ministre, vous connaissez très bien le Togo, vous suivez toujours avec une attention particulière la vie politique du pays et toutes ses implications. A la lumière des dernières élections législatives qui y ont eu lieu en décembre dernier, élections marquées par le boycott de la coalition de l’opposition, quelle pourrait être désormais la nature des relations entre le parlement européen et le Togo ?

Je pense qu’il serait intéressant que le parlement européen puisse vite accueillir une délégation de parlementaires (majorité, opposition, indépendants) pour nouer des liens d’informations et de soutiens réciproques, une délégation pluraliste de sorte à écouter plusieurs sons de cloches. D’ailleurs, nous, nous avons l’intention de tenter d’organiser une mission d’information avec une délégation de parlementaires européens qui iraient au Togo rencontrer les autorités mais aussi les représentants de l’opposition représentée au parlement mais aussi de l’opposition qui a boycotté les élections et de l’ensemble de la société civile et les représentants des institutions internationales. Nous espérons pouvoir recevoir une invitation de la part des autorités du Togo pour que cette délégation puisse se rendre au Togo. Notre souhait est que cette mission puisse se tenir au plus tard au mois de Mars 2019.

Le parlement européen a suivi tous ces moments quelque peu difficiles pour le Togo, depuis les soulèvements d’août 2017, comment l’Europe et plus particulièrement le parlement européen a vécu ces moments dits de crise au Togo ?

Nous avons tous vécus cela avec une certaine inquiétude. Parce qu’il est évident que des manifestations nombreuses qui aboutissent parfois à des violences rendent plus difficiles le développement et la gestion d’un pays. Nous ne prenons pas position sur le fond de ces questions. Mais, je pense qu’il est grand temps que l’on continue à privilégier le dialogue entre l’opposition et la majorité. Et il me semble que la majorité est très disposée à ouvrir le jeu et à débattre, je souhaite que l’opposition puisse s’insérer dans cette dynamique de rapprochement, que l’on essaye de voir quels sont les problèmes à résoudre ensemble. J’ai un peu regretté qu’à la Commission des Lois, seuls les députés de la majorité ont voté pour des reformes qui étaient quand même substantielles. Dommage ! Mais rien n’est encore perdu. L’on peut encore rouvrir le dialogue. Et l’Europe elle, pousse au dialogue entre toutes les composantes représentatives du Togo.

Il existe en effet depuis le 20 décembre, au Togo, un nouveau parlement constitué de diverses forces politiques, aussi bien des indépendants que des figures issues de partis de l’opposition et bien entendu des élus du parti au pouvoir, que vous inspire ce nouveau parlement ?

Ce qui est déjà à saluer, c’est qu’il s’agit d’un parlement pluraliste avec des indépendants, des membres de partis de l’opposition, etc. qui ne sont pas nécessairement de l’opinion du parti majoritaire. Mais qui tous acceptent de jouer le jeu parlementaire. Je pense que la majorité doit aussi faire droit complètement au rôle de ces gens qui sont dans l’opposition, qui sont représentés au parlement, tout comme elle doit être à l’écoute de ceux qui s’opposent en dehors du parlement. Toute personne qui a, une position à défendre, toute personne qui a des idées pour un Togo de demain doit être prise en compte.

L’intervention de la Cedeao à travers la médiation des présidents guinéen et ghanéen, Alpha Condé et Nana Akufo Adoh dans la gestion de cette situation, a-t-elle été utile de votre point de vue ?

Je crois que oui. Ils ont très bien travaillé. Ils l’ont fait avec une grande objectivité. Ils ont mis le doigt et le droit sur des choses qu’il fallait corriger et ont reconnu que les élections se sont déroulées d’une manière apaisée. J’ai eu l’occasion de m’entretenir notamment avec Alpha Condé sur ces questions. Il a plaidé pour le dialogue permanent en notant des progrès qui ont été réalisés, en disant qu’il y a encore des efforts à fournir. Tout le processus démocratique ne se fait pas en deux ou trois ans…. il faut du temps pour que tout puisse être résolu et absorbé. Et je ne saurais trop plaider pour que majorité et opposition fassent le maximum pour se rencontrer, pour débattre…pour faire avancer la démocratie. Cela vaut pour la majorité et cela vaut aussi pour l’opposition. Si la majorité veut ouvrir le jeu, elle doit avoir des interlocuteurs qui ne cassent pas la dynamique de négociation, de rapprochement, ni par le boycott ni en refusant la peine des autres. La majorité doit accepter de discuter des revendications des opposants. Les opposants ne peuvent non plus proposer unilatéralement leur agenda. C’est une question de bonne volonté. Je pense qu’au Togo, il y’a un esprit qui permettrait d’arriver à cela.

La nouvelle politique togolaise de développement s’élabore à travers une nouvelle stratégie très ambitieuse baptisée Programme National de Développement (PND) ; quel pourrait être l’apport d’un partenaire aussi important du Togo qu’est l’Union Européenne à programme ?

Déjà ce plan s’insère dans un ensemble de conditions de bonne coopération. Il faut saluer que le fait que le Togo dispose d’un plan comme celui-là. Parce que c’est important d’avoir une vision, d’avoir une programmation…. À partir de cela l’UE peut beaucoup aider comme, elle l’a fait par le passé. C’est un prérequis indispensable qui est une avancée tout à fait importante.

A la suite du sommet d’Abidjan en 2017, L’UE s’engage dans un nouveau partenariat avec l’Afrique à travers trois axes clés, et la session ministérielle UE-UA qui vient de se tenir ici à Bruxelles, préfigure ce nouveau partenariat ; alors quel type d’aide, selon vous, irait mieux à l’Afrique dans son contexte actuel ?

Je pense que l’un des grands défis de bien des pays africains, c’est d’achever la consolidation de leurs Etats. Beaucoup d’Etats-nations restent encore malheureusement fragiles. Alors qu’un Etat c’est une justice impartiale ; une Administration impartiale ; une politique de santé impartiale ; une politique culturelle impartiale…Ce sont les grandes fonctions régaliennes d’un Etat. Et un pays africain qui aura tout cela pourra se développer. En ce sens, je plaide pour que la canalisation des aides européennes puisse se faire aussi à travers les aides budgétaires, car au fond, on demande à ces Etats d’organiser les grandes fonctions régaliennes.  Je pense qu’il est important que l’Europe et l’Afrique de travailler à augmenter l’aide par la canalisation directe des aides aux grandes fonctions de l’Etat. C’est par là qu’on peut construire de grands Etats. Je sais que dans le cas du Togo, il y a des projets de développement dans le domaine de la santé, dans le domaine éducatif, économique… c’est comme ça qu’un Etat se construit. C’est aussi comme cela que les citoyens gagnent de la confiance en l’Etat. Le mot clé de tout cela est : impartialité. Chaque citoyen doit se sentir servi, aidé et accompagné de la même manière.

Au Togo, des efforts se font pour consolider l’Etat. Il est évident que quand il y’a beaucoup de manifestations, c’est un peu difficile d’avancer sur le terrain du développement. J’observe bien qu’il y’a une volonté de la part de la majorité comme de l’opposition, Il y’a quelque part un objectif ou un fond commun de développer le pays. Il faut dépasser quelque part les clivages, il faut être ouvert.

Et parlant de l’Afrique justement, l’un des sujets dominant de l’actualité sur le continent voire dans le monde est la situation en RDC ; qu’en disent les députés européens ?

Ce qu’on peut regretter, en ce qui concerne le Congo, c’est qu’on n’a pas le sentiment que tout s’est fait avec beaucoup de transparence. Donc il subsiste de doutes sur la réalité des résultats. Je n’ai pas suffisamment d’éléments pour me prononcer. M. Tchisékedi a été aujourd’hui proclamé président, j’ai observé que l’Union africaine, l’Union européenne…sont prêts à travailler avec lui, mais que nous avons des attentes extrêmement fortes de la part de Tchisékedi de manière à ce qu’il puisse donner du bonheur à son peuple, qu’il puisse utiliser ses prérogatives présidentielles pour apporter de la démocratie, de l’état de droit, des  droits humains, de la liberté de la presse et surtout le développement économique de son peuple. C’est un pays très riche avec beaucoup de possibilités. Donc les attentes du côté de l’U.A comme du côté de l’U.E sont évidemment grandes, donc les enjeux doivent être très importants. Et je souhaite que tout le monde se rallie, que l’on ne soit pas clivant. Aujourd’hui ce magnifique pays qu’est le Congo, et ce peuple méritent véritablement que ce soit eux la priorité et non toute sorte de calculs qui sur la ligne de l’histoire ne pèsent rien.

Pensez-Vous que Tchisékédi est l’homme de situation ?

Je n’ai pas à poser de jugement de valeur sur cette question. Je connais très bien M. Tchisékédi. Je sais qu’il n’est pas clivant. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas d’autorité. Il va devoir donc démontrer qu’il est l’homme de la situation.  Il a un défi qui est colossal. J’espère qu’il va déployer une politique de rassemblement, de rapprochement entre les différentes forces politiques du Congo. Le pays a souffert de toute sorte de bagarres, de conflits… Il faut voir ce qu’il va faire. On ne peut pas le juger maintenant.

Pour finir, en vue d’un partenariat gagnant-gagnant entre l’UE et l’UA, quelle orientation stratégique devrait-on donner aux relations entre les deux institutions ?

L’Europe et l’Afrique sont liées culturellement par l’histoire, pour le meilleur et pour le pire. L’histoire entre l’Europe et l’Afrique n’a pas été un fleuve tranquille. Mais il y’ a du bon et du mauvais. Ma définition du partenariat gagnant- gagnant, c’est de sortir de la relation dépendante. C’est unilatéral, ce n’est pas celui qui reçoit qui en sort gagnant parce que celui qui reçoit dépend de l’autre. Il faut maintenant un véritable partenariat d’égal à égal. Pour avoir un partenariat d’égal à égal, il faut que chaque partie en tire un bénéfice. Par exemple, organisons un beau jour, une vaste zone de libre-échange avec des transferts de technologie de l’Europe vers l’Afrique, avec des investissements en Afrique, une gouvernance qui sécurise les investissements….cela serait bénéfique pour l’Afrique.

On peut donner autant qu’on veut, cela ne suffira pas pour financer le développement de l’Afrique. L’Afrique se développera quand elle développera son autonomie pour accéder au marché mondial. 1,5% de croissance représente plus de 3 fois ce que l’Europe donne à l’Afrique. Ce problème déposé, c’est que, c’est difficile de pérenniser. L’Afrique pourrait bénéficier de toutes les expériences de l’Europe pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs de l’Europe.

Le problème migratoire, ne sera résolu que le jour où on aura un développement en tant que partenaire entre l’Europe et l’Afrique, l’Europe peut apporter énormément à l’Afrique. Et l’Afrique peut apporter énormément à l’Europe. Nous sommes des partenaires privilégiés naturels. Je pense même que pour le bien du monde, ce serait bien qu’il y ait un partenariat politique, économique, culturel, très fort entre l’ l’Europe et l’Afrique. Nous sommes le prolongement l’un de l’autre, nous sommes des continents voisins, nous sommes liés par des liens culturels.  En Europe nous avons la multi culturalité. Il y a plein d’Africains intégrés qui apportent leur créativité, leur intelligence, leur force de travail à l’Europe et vice versa. Quand on est dans une époque comme celle-ci ou la mondialisation est planétaire, je pense qu’il est important de pousser ce partenariat entre l’Afrique et l’Europe et c’est le gagnant- gagnant. Je reste convaincu que le partenariat entre l’Afrique et l’Europe est indispensable.
Propos recueillis par Anita Atigaku de la TVT et Dieudonné Korolakina de Togo Matin, à Bruxelles, ce 23 janvier 2019

source: Afreepress

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