Il est candidat au poste de directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization, UNESCO) et compte parmi les favoris de cette élection qui se déroulera au cours du dernier trimestre de l’année. Reçu le 04 mars dernier à Lomé par le Premier Ministre Komi KLASSOU, Hamad Bin Abdulaziz AL-KAWARI, en campagne dans la zone Afrique, est venu solliciter le soutien des autorités togolaises. Dans un entretien exclusif qu’il a accordé au confrère FOCUS INFOS à l’issue de l’audience, il trace les grandes lignes de son projet. Celui qui se définit comme « un citoyen du monde » met en avant son riche parcours diplomatique ainsi que son expérience établie au sein du système des Nations Unies, promet un nouvel élan s’il est élu. Lecture !
Dans quel cadre s’inscrit votre séjour au Togo ?
Dans quelques mois, notre grande organisation qu’est l’UNESCO élira son directeur général. Candidat soutenu par mon pays le Qatar pour ce poste, j’effectue une tournée à travers le monde, afin de rencontrer les dirigeants et présenter mon ambitieux projet de relance de notre maison commune.
Mon séjour dans votre beau pays s’inscrit dans ce cadre. Je voudrais exprimer ma profonde gratitude aux plus hautes autorités du Togo, notamment le Chef de l’Etat, un homme de vision, qui est en train de transformer le visage de son pays à travers une série de réformes. J’en profite également pour saluer la réussite du dernier sommet sur la Sécurité maritime, signe de l’engagement du Togo dans les grandes causes mondiales.
Nos remerciements vont par ailleurs au Premier Ministre, qui a fait preuve de disponibilité et d’un esprit d’écoute qui nous réconforte. Vous savez, nos deux pays entretiennent de cordiales relations, à travers les différentes organisations dans lesquelles ils siègent. Dans ce contexte, s’effectuent des échanges de vote. Je suis venu à Lomé solliciter le soutien du Togo. Ma délégation et moi repartons avec beaucoup de satisfaction.
Qu’est-ce qui motive votre candidature à l’UNESCO ?
L’UNESCO est une organisation importante : elle est la conscience de l’humanité. Depuis sa création il y a soixante-dix ans, le monde a beaucoup évolué. Il a changé peut-être encore plus rapidement depuis le début du XXIè siècle. Cette brutale accélération de l’Histoire abolit les distances et rétrécit la planète. Le besoin de multicultularisme redevient une évidence, tout comme la protection légitime des identités. .
Des millions de jeunes, de femmes, et de personnes qui souffrent sur terre perdent graduellement l’espoir en raison de conditions d’existence déplorables à tous les égards. Il en résulte un élargissement des zones de tension et une multiplication des conflits internes et externes. L’ombre de ces malheurs ne cesse de s’étendre avec des conséquences souvent tragiques : migrations massives, enfermement identitaire, et poussée du fanatisme et du terrorisme.
Nous nous retrouvons face à une crise de valeurs qui menace le monde entier.
Dans ce contexte, je suis convaincu que nous devrons nous armer des idéaux et de l’éthique de l’UNESCO basés sur les principes partagés de dignité humaine, de justice sociale et de respect mutuel entre les nations. C’est ce projet que je porte. Aujourd’ hui, l’Humanité a un besoin urgent de ce système de valeurs et de l’expertise accumulée le long des années par cette organisation.
Nous avons donc l’intention de nous hâter de relancer les initiatives de l’UNESCO, tirant profit des succès achevés et des alternatives que nous proposent les hommes de science, les intellectuels et les chercheurs de divers horizons. Moi qui ai eu la chance d’avoir un parcours professionnel très riche, en ayant été ministre, diplomate et homme d’affaires, je n’ai en réalité qu’une seule ambition à travers ma candidature : rendre au monde ce qu’il m’a offert, être au service de l’humanité. C’est pour cela que je propose un nouvel élan que nous imaginerons ensemble.
Quels sont les atouts et qualités que vous mettriez en avant pour cette élection ?
Je me considère avant tout comme un citoyen du monde, à l’aise avec toutes les cultures et en lien étroit avec l’ensemble des continents. Je crois que l’esprit fédérateur et consensuel d’entente et d’harmonie devrait présider mes efforts visant à donner à l’UNESCO un nouvel élan. Né au Qatar, mon cursus universitaire m’ a amené dans les grandes universités notamment au Caire (Egypte), à Beyrouth (Liban), New-York ( Etats-Unis) etc ; expression de la diversité de ma formation.
Mon parcours professionnel a été également très enrichissant et une occasion unique pour moi de rencontres culturelles dans toute la diversité du monde, notamment en France, en Argentine, au Brésil, au Canada ou encore au Mexique etc comme ambassadeur ou chargé d’affaires.
Je suis donc préparé à ce poste d’autant plus que j’ai officié pendant plusieurs années au sein du système des Nations dont je maîtrise les rouages.
Et surtout, je connais très bien l’UNESCO pour y avoir été ambassadeur de mon pays. J’ai donc cet avantage de pouvoir être opérationnel dès le premier jour de ma prise de fonction.
Si vous êtes élu, ce serait la première fois qu’un diplomate d’un pays arabe dirigerait l’UNESCO. Cela serait-il un plus pour l’organisation ?
Mon élection sera indubitablement une occasion précieuse pour renforcer la coopération multilatérale, le destin commun de l’Humanité, et tendre les ponts entre la civilisation arabo-musulmane et les autres civilisations du monde. Avec à sa tête un diplomate d’un pays arabe, c’est la vocation universelle de l’UNESCO qui en sortira fortifiée.
Quels sont les principaux chantiers auxquels vous entendez vous atteler ?
Fondamentalement, mon projet est de créer, dans une démarche inclusive, les conditions qui projetteront l’Organisation dans l’avenir, donneront un nouveau souffle au nécessaire débat d’idées, l’oxygène naturel de l’UNESCO, et lui assureront un nouveau confort dans son fonctionnement quotidien.
L’une des raisons d’être de notre organisation est son engagement en faveur de l’éducation.
Il est de notre responsabilité historique et de notre devoir d’amplifier de façon massive cet engagement. Je me sens fort d’une expérience conduite par mon pays en partenariat avec l’UNESCO et qui a commencé à porter ses fruits : parmi les 58 millions d’enfants non scolarisés dans le monde, les initiatives conjuguées du Qatar et de l’UNESCO « Eduquez un enfant » ont permis à la fin de l’année 2015 de financer la scolarisation de 10 millions d’enfants des deux sexes dans les régions les plus défavorisées et enclavées.
Sans éducation, on ne peut espérer de dialogue, et sans un enseignement de qualité, on ne peut prétendre à une qualité de vie meilleure pour les générations futures. Il est également de la plus haute importance que l’UNESCO continue d’interagir avec les pôles de savoirs contemporains.
La science au service des hommes est un sujet qui m’est particulièrement cher, et je ne peux omettre de rappeler que la civilisation arabe a donné au monde des mathématiciens, des astronomes et des médecins de premier plan. Nous favoriserons la mise en place de panels d’experts, en encourageant les échanges universitaires, les mises en réseau de chercheurs et de connexions susceptibles de produire des applications concrètes et immédiates dans tous les domaines qui vont décider de l’avenir de l’homme.
La science et l’éducation doivent être mises au service du développement durable. Les pays membres de l’ONU ont adopté un nouveau programme pour le développement durable articulé autour de 17 objectifs prioritaires permettant de construire un monde meilleur. L’UNESCO est naturellement associée à cet ambitieux programme. S’il donne le ton pour la planète, il est fondamental que notre organisation joue sa partition dans ce domaine et qu’elle réalise pleinement sa vision culturelle.
En outre, le patrimoine mondial est la « marque » reconnue de l’UNESCO. C’est grâce au patrimoine mondial que l’action de l’UNESCO est connue et comprise.
Celle-ci ne se contentera pas de tout faire pour protéger ce qui doit l’être, mais elle devrait être aussi au premier rang de tous les ateliers et les chantiers visant à numériser des manuscrits, à reconstruire des bibliothèques et monuments détruits, et à faire revivre ces sites qui parlent à la mémoire de tous les hommes.
Il s’agira de s’engager pleinement dans la protection de la diversité naturelle et linguistique, et celle du patrimoine culturel matériel, et immatériel, et aussi du patrimoine submergé.
Par ailleurs et c’est peut-être l’un des défis prioritaires, nous nous attellerons à résoudre la crise financière que traverse l’UNESCO.
Quelles est la place des pays en développement dans votre projet.
Il n’y a pas lieu de marginaliser les pays en développement ; notamment en Afrique où effectivement des millions de personnes manquent d’éducation et de formation. J’ai l’intention de soutenir les pays africains et sud-américains sans oublier les Etats insulaires. Nous pourrons lancer des partenariats visant un progrès dans le domaine du développement durable et la lutte contre les catastrophes naturelles car il en va de l’intérêt de la communauté internationale dans son ensemble.
Par ailleurs, nous ferons tout pour que les connaissances scientifiques les plus avancées soient mises à la disposition du plus grand nombre, en encourageant une science plus ouverte et plus transparente.
Je vous le confie, l’Afrique sera une priorité pour moi car j’ai avec ce continent, une attache particulière. Par exemple, délégué officiel du Qatar auprès de l’ONU de 1984 à 1990, j’ai été vice-président du Comité contre l’apartheid et la société sud-africaine, arc-en-ciel, telle que l’a voulue Nelson Mandela m’inspire énormément.
Quelle place vous ferez à la femme ?
Une place centrale. La femme est un facteur commun de progrès. Nous ferons la promotion de l’égalité. Nous développerons notre action pour l’éducation des femmes dans le monde entier et ne négligerons pas les régions plongées dans l’ignorance qui fait le lit de tous les fanatismes et entrave tout développement économique. Notre insistance sur l’éducation des femmes vise à soutenir leur participation à la construction de sociétés équilibrées comptant sur un développement global et durable.
Un dernier mot ?
J’ai démarré ma campagne sur ce grand continent qu’est l’Afrique afin d’écouter ses aspirations. Je voudrais remercier l’ensemble des dirigeants qui m’ont reçu, écouté et apporté leur soutien.
Tous les pays ont besoin de l’UNESCO et celle-ci a aussi besoin d’eux. Travaillons ensemble à redynamiser l’organisation et à lui redonner son lustre et ses lettres de noblesse d’antan. Bâtissons ensemble une UNESCO au cœur de l’humanité, en lui donnant un nouvel élan.