La Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HAPLUCIA) vient d’adopter son plan stratégique quinquennal 2019-2023. Et ce, quelques jours après la publication du rapport 2018 de l’ONG allemande Transparency International sur l’Indice de Perception de la Corruption où le Togo ne fait pas bonne figure. Comment cette régression peut-elle s’expliquer? Que compte faire l’institution pour redorer le blason du Togo en matière de prévention et de lutte contre la corruption et infractions assimilées, dans un contexte où les priorités des pouvoirs publics sont essentiellement tournées vers l’amélioration de l’environnement des affaires et la mobilisation des ressources pour le financement du Plan National de Développement 2018-2022 ?
Dites-nous, quel est l’état de la corruption au Togo ?
Wiyao Essohana (W.E) : Je m’en vais vous préciser que la HAPLUCIA que je préside est à sa phase d’installation. Très bientôt, nous allons commanditer une étude sur l’état des lieux de la corruption au Togo.
Néanmoins, nous pouvons utiliser quelques données existantes pour répondre à cette question. La 1ère donnée, c’est un sondage effectué par la Ligue des Indépendants pour la Transparence en 2008. Selon les résultats de ce sondage, la corruption est réelle au Togo. Le classement montre qu’au peloton de tête, nous avons la police, la douane, les impôts. Ensuite, la gendarmerie, le pouvoir exécutif, la justice, l’administration publique et les collectivités locales.
La deuxième référence, c’est le projet ATENS (Avançons Tous Ensemble). C’est un projet initié par l’Etat togolais dans le but de moderniser l’administration publique. En 2001, un groupe a travaillé sur la thématique pour décourager la corruption dans la fonction publique togolaise. Ce groupe a fait aussi une étude. Il en ressort que 97,44% des enquêtés estiment qu’il y a la corruption au Togo et que l’administration publique togolaise est corrompue. De même, d’après cette étude, la sécurité, la douane, la justice, les impôts occupent le peloton de tête des institutions les plus corrompues au Togo.
Je m’en voudrais de ne pas citer le classement Transparency International. Sur ces dix dernières années, nous voyons qu’en 2012, nous occupions la 128è place pour un score de 30 points. Nous avons ensuite régressé en 2013 : 123è place pour 29 points ; en 2014, nous avions 29 points et occupions le 126è rang. En 2015, nous enregistrions 32 points sur 100 et avions amélioré notre classement en nous positionnant à la 107è place. En 2016, nous avions toujours 32 points et étions 116è. Il en est de même pour 2017, où nous avons rétrogradé d’une place pour le 117ème rang. En 2018, nous avons régressé en perdant 2 points et occupons désormais la 129è place. Tous ces indices nous montrent que la corruption est réelle au Togo.
Comment cette régression peut-elle s’expliquer ?
W.E : Ce classement n’est effectivement pas flatteur ; il est plutôt désolant parce que nous avons perdu 2 points et régressé de plusieurs places. Le fait est que depuis 2009, le Togo s’est engagé dans de multiples efforts de réformes ; et les chantiers prioritaires, ce sont les finances publiques et les marchés publics qui ont fait l’objet d’une abondante réglementation. En 2015, dans le cadre de la réforme de la justice, la HAPLUCIA a été créée ; on a eu plus tard un nouveau code pénal qui domestique toutes les dispositions pertinentes contenues dans les conventions internationales que nous avons ratifiées. Donc tous ces efforts ont été comptabilisés pour nous permettre de monter à 32 points sur 100 et pour occuper un rang quand même acceptable de 107è.
Mais il se fait que depuis, la HAPLUCIA n’a pas été opérationnalisée. Trois ans sont passés et elle n’était pas opérationnelle. Cette régression en 2018 peut s’expliquer par ce vide. Il y a un autre grief qu’on nous porte, c’est que les actes de corruption sont restés impunis. Je pense que nous devons travailler sur ce côté pour améliorer notre image et rebondir dans le classement.
Très active sur le terrain de la sensibilisation, la HAPLUCIA ne semble pas très présente sur le terrain de la répression…
W.E : Oui, il faut comprendre, comme je l’ai dit tantôt, que la HAPLUCIA est en train de s’installer. Le 1er crédit de fonctionnement a été alloué seulement avec la Loi de Finances 2018. Donc économiquement et financièrement, nous n’avons commencé d’exister qu’à partir de l’année dernière.
Ce crédit nous a permis de nous installer, de nous équiper et de renforcer nos capacités. Donc au titre de 2018, c’est la campagne de sensibilisation que nous avons préparée, qui a été lancée officiellement par le Premier ministre, représentant le Chef de l’Etat. Et c’est ce programme que nous exécutons. Le processus est en cours ; et cette année, nous allons mettre un accent particulier sur la répression. On va nous sentir aussi sur le terrain de la répression.
Et dans le viseur, quelles affaires avez-vous déjà identifiées ?
W.E : Déjà, je peux vous dire que toutes les grosses affaires qui intéressent les Togolais nous préoccupent aussi. Je peux citer les affaires tristement célèbres comme les CAN 2013 et 2017 et l’affaire du tronçon Lomé-Vogan-Anfoin qui passe devant le siège de la HAPLUCIA. Nous sommes en train de collecter les dossiers, les rapports sur ces dossiers. Très bientôt nous allons les étudier et, s’il y a des cas avérés de corruption, nous allons les transmettre à la justice. Ainsi vous, les journalistes et la population, vous en serez informés.
Sur le plan technique, après transmission au Procureur de la République d’un dossier déjà instruit par la HAPLUCIA, que se passe-t-il ? Le Procureur de la République enclenche-t-il directement la procédure de mise en examen ou il ordonne une nouvelle instruction du dossier ?
W.E : En réalité, la HAPLUCIA a compétence pour investiguer, mais pas pour juger. Comme la police et la gendarmerie. Elles investiguent, rassemblent les preuves et transmettent les dossiers à la justice. C’est ce que nous allons faire aussi. Donc nous allons étudier les dossiers, transmettre les rapports, avec les recommandations de poursuite au Procureur de la République.
Quand le Procureur de la République reçoit les dossiers, il a plusieurs options qui s’offrent à lui. Et puis la nature de l’infraction indique la procédure à suivre. Si c’est une infraction appelée crime, c’est-à-dire une infraction passible de 5 ans et plus, lorsque le Procureur de la République reçoit le dossier, il doit l’envoyer obligatoirement à l’instruction. Il ne peut pas passer directement au jugement.
Mais si c’est une infraction qui a le caractère de délit, passible d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans, si le Procureur de la République estime que le travail effectué par la police et la gendarmerie est suffisamment clair, il peut envoyer le dossier directement en jugement. Si le Procureur de la République estime que nos rapports sont suffisamment étoffés, dans les cas de délits, il les enverra directement en jugement. En revanche s’il estime qu’il faut un complément d’enquête, il enverra le dossier à l’instruction. C’est comme cela que se décline la procédure. En conclusion, quand nous transmettons, ça ne s’arrête pas là. Nous sommes partie prenante de toute la procédure jusqu’au jugement. Nous sommes présents à toutes les phases. On doit nous informer. Si nous le voulons, nous participons à l’instruction ; nous participons également au jugement.
Pourrions-nous espérer atteindre dans les années à venir, l’objectif zéro corruption au Togo ?
W.E : Zéro corruption, c’est un idéal et il faut toujours avoir des idéaux ; il faut les fixer très haut et sauter pour les atteindre. Pour le moment, il n’y a pas zéro corruption sur la planète. Les pays les plus intègres, les pays scandinaves occupent le top des classements en la matière mais aucun de ces pays n’a eu 10/10 ; aucun pays n’a eu 100%. Parfois 9/10 voire 9,5/10. Ça veut dire que la corruption zéro n’existe pas. Mais il faut contenir ce fléau, travailler à le réduire à son minimum. C’est ce que nous allons faire.
source: Togofirst