Si l’on s’étonnait du fait que Faure Gnassingbé et son régime aient toujours un coup d’avance sur l’opposition, aujourd’hui nos suspicions sont éclairés. Une enquête menée par Le Monde et The Guardian a permis de révéler les dessous du régime du numéro 1 togolais
«Je me suis longtemps demandé comment certaines de mes conversations WhatsApp ont pu se retrouver sur des sites Internet de propagande du régime.», s’est toujours interrogé le père Pierre Channel Affognon, leader du mouvement citoyen Forces vives Espérance pour le Togo.
Mystère levé en octobre 2019, le prêtre avait reçu alors un message l’informant qu’il avait été pris pour cible par un logiciel d’espionnage, Pegasus.
Il est désormais clair, le regime Faure Gnassingbé s’est trouvé un allié de taille : la technologie. Grâce à Pegasus, le régime en place avait un accès libre aux informations de premiers choix qu’il extirpait frauduleusement des téléphones de certains opposants et hommes religieux qui donnent de la voix contre ses dérives autoritaires.
Pegasus en réalité est une arme numérique développée et vendue aux États par la société israélienne NSO Group qui permet, dans sa version basique, de géolocaliser la victime, lire ses messages et ses courriels, voire d’activer le micro et la caméra de son téléphone.
Pour avoir eu à organiser, en tant que président de la Conférence des évêques du Togo, des dialogues et des tractations délicates entre l’opposition et le pouvoir et pour les avoir assez souvent critiqué sur leur mauvais choix, Mgr Benoît Alowonou a également été ciblé.
Tout comme Mgr Alowonou, le prêtre explique ne pas avoir informé le Vatican de cette tentative d’espionnage subie par l’Eglise catholique togolaise, faute de certitudes. Même s’ils n’ont rien à cacher, il est clair que «ce type de logiciel est dangereux pour nos libertés », a réagit Mgr Alowonou qui ne s’avoue tout de même pas vaincu ni découragé. « Il est de notre devoir de dire publiquement des vérités qui dérangent.
« Le régime considère que l’ennemi numéro un est intérieur. Et il dépense des millions d’euros pour acquérir des technologies de surveillance plutôt que de développer le pays », déplore le politicien Raymond Houndjo, un proche collaborateur de Jean-Pierre Fabre, qui confirme au Monde avoir été lui même visé par Pegasus comme l’en a informé WhatsApp par message.
Elliott Ohin l’ancien chef de la diplomatie, qui occupa des fonctions ministérielles entre 2010 et 2019 en a aussi bavé.
Interrogé par Le Monde sur l’utilisation de Pegasus, la ministre des Postes et Télécommunications s’est mue dans un silence criard. Quant à la société mère de Pegasus, elle révèle que «le choix des cibles est du ressort des États, même si ces derniers sont contractuellement tenus d’utiliser Pegasus uniquement contre les terroristes et les criminels ».
Profitant de la menace dihadjiste pesant dans le Nord à la frontière avec le Burkina Faso, l’État togolais a assimilé les opposants au régime à des « criminels » en les soumettant à un logiciel destiné aux criminels.
La société israélienne, rachetée par le fonds d’investissement britannique Novalpina Capital quatre mois plus tôt, a été accusée d’avoir permis l’espionnage d’au moins 1 400 utilisateurs de WhatsApp dans le monde.