Debout au milieu du marché de Togoville, l’émissaire Alohou Papa souffle de toutes ses forces dans un sifflet: « Il est 9H. Le chef du village m’envoie vous annoncer que les échanges peuvent maintenant démarrer. Pas de disputes et pas de provocation! »
Tous les samedis sur les rives du lac Togo, à 65 km à l’est de Lomé, la bourgade accueille l’un des derniers marchés de troc en Afrique de l’Ouest, une tradition ancestrale.
Toute transaction monétaire est prohibée sur la petite place publique de ce haut lieu de la religion vaudoue, où se pressent commerçants, pêcheurs et cultivateurs des villages de la région.
A « Togossimè », qui signifie « marché du Togo » en langue locale Ewé, on échange toutes sortes de marchandises, mais les plus prisées sont les céréales, le poulet, le poisson et les fruits de mer.
« Togoville est un village conservateur. Autrefois, nos parents vivaient des produits de la terre et de la mer. Ils s’échangeaient ces produits et vivaient dans une parfaite ambiance », raconte Simon Tovor, conseiller spécial du roi Mlapa VI, également chef de canton.
« Pour ne pas perdre les traces de nos grands-parents, nous avons jugé bon de préserver cette pratique. Il faut montrer aux enfants la manière dont nos parents ont vécu », ajoute-t-il.
Togoville compte 10.000 habitants. Cette ancienne capitale ayant donné son nom au pays semble figée dans le temps et continue à vivre au rythme du lac et des saisons de la pêche, principale richesse locale.
C’est là qu’en 1884 le roi Mlapa III de Togoville signa un traité de protectorat avec l’Allemagne, bien avant que le Togo ne devienne une colonie française.
Pour rejoindre Togoville depuis Lomé, l’actuelle capitale, il faut contourner le lac Togo en empruntant une vieille route parsemée de nids-de-poule, si bien qu’aujourd’hui encore, la bourgade reste plus facilement accessible en pirogue.
– Cherté de la vie –
A Togoville, le troc n’est pas qu’une affaire de respect des traditions: il perdure aussi par nécessité.
Près de la moitié des 8 millions de Togolais vivent sous le seuil de pauvreté et souffrent de l’inflation qui renchérit le coût de l’alimentation. Dans les villages reculés, tous n’ont pas assez d’argent pour acheter des produits de base.
Les commerçants « apportent les chaussures, les costumes, les boissons », raconte James Dotse, un chef local. En échange, « nous donnons les (produits des) cultures qui réussissent bien chez nous, c’est-à-dire le maïs et le haricot ».
Parmi les clients qui sont aussi, de fait, vendeurs, une petite fille de 10 ans a « quitté la maison avec du maïs et du gari pour venir les échanger contre du poisson ». « Je ne viens pas souvent au marché », confie Edola, seulement « quand j’ai un peu faim ».
Sur le marché, la plupart des affaires se concluent en plein air, sous une chaleur écrasante. Seuls deux petits hangars en piteux état servent d’abris à quelques femmes.
Les autres étalent leur marchandise sur la terre poussiéreuse. Les vendeuses ambulantes, enroulées dans des pagnes colorés, se frayent habilement un chemin à travers la foule, trouvant l’équilibre malgré les lourdes cargaisons qu’elles portent sur la tête.
Atsupi Fiodjio vient ici tous les samedis depuis plus de 25 ans. Assise sur une brique, cette commerçante originaire d’un village voisin propose des poissons fumés.
« Je viens chaque samedi avec deux ou trois grands paniers de gros poissons fumés et je rentre chez moi en fin de journée avec au moins trois sacs de maïs, de haricot et de voandzou (sortes de gros haricots jaunâtres) », explique-t-elle.
« Je les revends dans notre marché où ces céréales s’écoulent très rapidement car la population est en majorité constituée de pêcheurs. On ne cultive rien », explique Mme Fiodjio, entourée d’une dizaine de clients.
Quelques mètres plus loin, Jeannette Tengué, assise à même le sol devant son étal, vante les qualités de ses petits poissons fumés ou séchés: « Je n’accepte que les céréales, surtout le maïs et le riz, sans oublier la farine de manioc. Ainsi, je fais mes stocks pour toute la semaine pour ma famille ».
AFP